A l’occasion de ce premier article de la série « faire de la BD son métier », nous sommes partis à la rencontre de Nathalie Frank, jeune autrice de BD.
Avant même de rédiger des scénarios et de dessiner, cela fait plus de 10 ans que Nathalie Frank s’intéresse à la bande dessinée. Aussi bien en tant que journaliste (reporter culturelle chez Arte Journal) ou que curatrice (manager culturelle au LAFT Berlin e.V), Nathalie a toujours eu beaucoup d’intérêt pour ce milieu.
Cette dernière nous explique quel a été le cheminement vers ce choix de carrière ainsi que ses premiers pas dans le métier d’autrice de BD :
🎤 Vouliez-vous devenir autrice quand vous étiez petite ?
Petite, je m’imaginais plutôt archéologue ou pâtissière, c’est à l’adolescence que j’ai commencé à aimer l’écriture. A ce moment-là je m’imaginais romancière, écrivant toute la journée dans des cafés parisiens et portant une veste en velours côtelé et de longues tresses… Je me suis intéressée à la BD plus tard, pendant mes études, et aujourd’hui c’est à Berlin que je dessine (sans tresse ni velours côtelé).
🎤 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire et de dessiner ?
Comme beaucoup de personnes en France, j’ai toujours lu de la bande dessinée, mais c’est vraiment pendant mes études que j’ai découvert des auteurs et autrices qui m’ont donné envie, comme Marjane Satrapi, Guy Delisle ou Lewis Trondheim… J’ai toujours dessiné « un peu » mais sans pratiquer vraiment, du coup j’ai mis du temps avant d’envisager la BD pour moi. J’étais à une conférence de Lewis Trondheim à l’institut français de Prague et il a dit (entre autres) : « Pour faire de la bande dessinée, le plus important, c’est l’histoire, plus que la virtuosité du dessin ». Ça m’a décomplexée d’un coup et le soir même, dans ma chambre, j’ai fait une première petite bande dessinée. Le lendemain, une deuxième, quelques semaines plus tard, j’ai ouvert un blog… J’étais lancée : merci Lewis !
🎤 Être autrice, pour vous, c’est plus un métier ou une passion ?
Une passion, que je transforme petit à petit en métier.
🎤 Quel est votre processus de création ?
C’est difficile de répondre à cette question parce que mon « processus » est très chaotique et irrégulier, mais j’aime écrire au café, au parc ou sur mon canapé, en écoutant de la musique, à peu près à n’importe quel moment de la journée : le matin mon esprit est plus frais, mais le soir parfois plus libre… Comme j’exerce d’autres métiers en parallèle, je travaille à mes BD pendant des blocs de temps auxquels je m’y consacre quand c’est possible. Je prends des notes et fais des bouts de storyboard sur des milliers de bouts de papier que parfois, dans un élan d’ordre, j’essaye de rassembler sur un fichier sur l’ordinateur, et puis j’imprime et je recommence à gribouiller… Récemment, je me suis mise à l’Ipad pour faire un storyboard au propre et c’est vrai que c’est pratique, même si pour penser, j’ai besoin du papier.
🎤 Travaillez-vous seule durant le processus de création ?
Oui et non : seule la plupart du temps mais je collabore avec le « dramaturge BD » Jean-Baptiste Coursaud à Berlin, nous nous rencontrons régulièrement pour discuter des chapitres de mon livre en cours et maintenant, je n’imagine plus travailler sans ces précieuses séances qui enrichissent énormément mon écriture. (Pour en savoir plus sur le travail de Jean-Baptiste : j’ai réalisé un reportage pour Arte Journal : https://www.arte.tv/fr/videos/110874-000-A/dans-les-coulisses-de-la-bd-allemande/.) Mon compagnon Antoine Beaudoin m’aide également pour le dessin et la couleur.
🎤 Quelle partie préférez-vous dans la conception d’une bande dessinée ?
Le moment où une scène sur laquelle j’ai buté, buté, buté commence à fonctionner après de nombreuses réécritures ! Plus généralement, chaque étape est un plaisir (et un challenge) différent : j’aime imaginer une scène dans ma tête et le premier jet d’écriture, j’aime aussi composer des images en cherchant des références, et dessiner de longues heures en écoutant de la musique…
🎤 Quels sont les obstacles rencontrés dans le métier?
Il y en a beaucoup : j’aime faire tout ça, mais c’est aussi incroyablement ardu et les blocages sont nombreux ! Et puis c’est un travail très chronophage et pas du tout rémunéré à la hauteur de la difficulté et du temps passé. Pour l’instant, je suis très loin d’en vivre alors que j’y consacre déjà une bonne partie de mon temps de travail. Je gagne ma vie autrement (avec un travail de bureau pour une association de théâtre, du journalisme chez Arte, des ateliers à droite à gauche…).
🎤 Y a-t-il des femmes du monde de la BD que vous voudriez mettre à l’honneur ?
J’ai déjà cité Marjane Satrapi qui m’a beaucoup inspirée, elles sont nombreuses. Pêle-mêle (et j’en oublie certainement) : Alison Bechdel, Rutu Modan, Liv Strömquist, Catherine Meurisse, Aude Picault, Emma, Nine Antico, Lisa Mandel, Camille Jourdy, Marion Montaigne, Ulli Lust, Barbara Yelin, Birgit Weyhe, Sheree Domingo, Marguerite Abouet, Maki Shimizu…
🎤 Les femmes qui vous inspirent ?
Il y en a beaucoup, des personnalités publiques bien sûr, mais aussi et surtout des femmes de mon entourage, dans ma famille, des amies, des collègues… Je suis entourée de femmes courageuses et passionnantes qui m’inspirent au quotidien, je préfère ne pas en citer en particulier pour ne pas oublier toutes les autres…
🎤 Quel est votre prochain projet ? Si vous pouvez (ou voulez) nous en parler un peu ?
Je travaille en ce moment à deux livres. Le premier, « Mon père, ce routard » raconte un voyage « hippie » autour du monde que mon père a fait dans les années 1970 : il a envoyé une centaine de lettres à ses parents et ces écrits m’ont beaucoup touchée et interrogée. C’est aussi ça que j’y raconte, et mes discussions (parfois houleuses) à ce sujet avec lui, en plus du récit de voyage. Le deuxième, « Retour à Nuremberg » est un essai graphique à propos de ma rencontre avec cette ville bavaroise, la ville natale de mon grand-père, Juif Allemand exilé en 1933 – et comment je gère cet héritage douloureux/ compliqué, aujourd’hui.
🎤 Si vous n’aviez qu’un seul conseil à donner aux artistes en herbe, quel serait-il ?
De se lancer sans peur et de ne pas écouter votre grand-mère (ou oncle, ou prof) qui vous dit de chercher « plutôt un vrai travail » !
🎤 Vous déménagez à l’étranger avec des bagages réduits, quel est LA BD que vous emportez?
« Building Stories » de Chris Ware, mais il faut quand même une grande valise.
📚 Le projet actuel de bande dessinée de Nathalie Frank, Rückkehr nach Nürnberg, raconte comment un voyage à Nuremberg lui a ouvert la voie pour se confronter à son histoire juive allemande.
Vous pourrez en découvrir plus ici.